Les quatre Etats confédérés

Pour Maurras, comme pour Rousseau, la démocratie à un niveau supérieur à celui d'une petite communauté homogène, est forcément une illusion : soit le nombre, dépourvu de volonté unanime et incapable de se gouverner lui-même, va se donner à un seul chef, et ce sera le césarisme, avec ses gloires et surtout ses périls (Napoléon), soit il se laissera diriger par le petit nombre organisé et ce sera l'oligarchie (le parlementarisme et sa corruption endémique).
La formule maurrassienne des « quatre États confédérés » (Juifs, Protestants, Francs-Maçons et Métèques) n'est au fond qu'une déclinaison de ce principe général dans le cas particulier de la IIIème République, à l'époque de l'Affaire Dreyfus et dans les années qui suivirent. Ce constat est d'ailleurs dénué de toute forme de racisme (les Protestants et les Francs-Maçons ne correspondent à aucune origine ethnique), racisme que Maurras méprisait comme en témoignent ses propos peu amènes à l'égard de Gobineau et de ses héritiers.
La dérive oligarchique dans le cas de la République des années 1890 est en quelque sorte amplifiée par cette spécificité : le régime s'instaure sans l'assentiment des catholiques, donc de la majorité silencieuse des Français, ce que Maurras appellera le « pays réel », et va devoir s'appuyer sur les communautés et les groupes minoritaires pour recruter son personnel. Ce tableau est à nuancer par la politique de ralliement d'une partie du clergé (le « toast d'Alger ») et de certains courants catholiques (Le Sillon). Mais le ralliement aura du mal à s'imposer, à cause des tracasseries, des brimades (Affaire des fiches) ou des franches persécutions (expulsion des congrégations) qu'aura à subir l'Église de France jusqu'à la Grande guerre.
Aujourd'hui et depuis des années l'Action française a abandonné toute forme de rhétorique antisémite. Quant au racisme, elle n'a pas eu à l'abandonner puisque les théories biologisantes sur la race n'y ont jamais eu cours. Mais cela ne veut pas dire que la loi de la dérive oligarchique de la démocratie soit fausse ou qu'elle ait disparu par enchantement. L'AF continue donc d'observer avec soin quels intérêts (bons ou mauvais, constants ou inconstants) gouvernent la République sous les apparences de la volonté générale.

Stéphane BLANCHONNET

Article publié sur a-rebours.fr et dans L'AF2000


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