Avertissement avant liquidation

Eric Zemmour a écrit le livre bilan des quarante dernières années, de la révolution soixante-huitarde à nos jours. Le large succès auprès du public de cette synthèse, véritable réquisitoire contre les élites politiques, culturelles et médiatiques, de gauche comme de droite, ayant, dans le pire des cas, provoqué, dans le meilleur, admis et accompagné, ce « suicide français » (repentance, autodérision, adulation des modèles étrangers, effondrement moral, économique, institutionnel...), est à lui seul un paradoxe. Heureux paradoxe puisque le pessimisme lucide de l'auteur est comme miraculeusement démenti par les Français qui, en plaçant ce gros ouvrage politique en tête des ventes, toutes catégories confondues (devant les romans, les BD, les ouvrages utilitaires...), manifestent, à rebours des craintes de l'auteur, leur volonté de subsister dans leur être de peuple amoureux de la pensée, du débat politique, de l'histoire, et singulièrement de leur histoire, qu'Eric Zemmour maîtrise si bien et avec laquelle il fait dialoguer en permanence les événements contemporains.

L'ouvrage ne manque pas de qualité pour séduire. Ce récit vivant, émaillé d'heureuses trouvailles stylistiques, nous divertit d'abord par son éclectisme. Chaque chapitre est une date mais en suivant ce fil chronologique, nous rencontrons tantôt un article de critique littéraire ou cinématographique, tantôt l'analyse d'un événement politique, tantôt une chronique judiciaire ou un portrait. C'est que ce roman des quarante dernières années est aussi un essai qui fait servir chaque date, à la manière des pièces d'un puzzle patiemment assemblées, à la réalisation d'un tableau synoptique de la France contemporaine. La ligne chronologique se mue en surface réfléchissante dans laquelle nous pouvons découvrir, comme dans un miroir, l'image de la France de 2014. Le regard de l'auteur, à la fois détaché et passionné, entre aussi pour beaucoup dans le plaisir du lecteur. Eric Zemmour n'écrit pour aucune paroisse communautaire (le CRIF en prend pour son grade !) ou politique (De Gaulle, le grand homme préféré de Zemmour, n'est pas épargné par sa critique). La seule passion de l'auteur, c'est la France et son histoire. Chaque patriote peut se sentir chez lui dans ce livre.

Pour nous, maurrassiens, la séduction opère plus efficacement encore. D'abord, le parti pris de Zemmour n'est pas sans rappeler les formules emblématiques de la vieille maison : « La France, la France seule » et « tout ce qui est national est nôtre ». La première par le refus des modèles étrangers (anglais, allemand, suédois...) que les modernes de gauche et de droite voudraient à tout prix nous faire adopter, la seconde par la volonté de définir les contours d'un modèle français (dans les rapports de l'Etat et de la société, dans les mœurs, les arts, la sensibilité) qui intègre l'ensemble de notre histoire, des premiers capétiens jusqu'à la césure de 1968. Ensuite, la méthode zemmourienne, qui consiste à induire les constantes politiques des séries de faits historiques, qu'est-elle sinon celle dont nous nous réclamons sous le nom d'empirisme organisateur ? Enfin, il est impossible de ne pas dire un mot de l'analogie historique entre 1789 et 1968 qui sous-tend en permanence Le Suicide français.

Zemmour la met en place dès l'introduction en citant Balzac (« En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête à tous les pères de famille ») et en plaçant son projet sous l'égide de Maurras (« Maurras exalta jadis les quarante rois qui ont fait la France ; il nous faut désormais conter les quarante années qui ont défait la France ») et y revient longuement dans sa conclusion en citant Renan (« La France était une grande société d'actionnaires formée par un spéculateur de premier ordre, la maison capétienne. Les actionnaires ont cru pouvoir se passer du chef, et puis continuer seuls les affaires. Cela ira bien tant que les affaires seront bonnes ; mais les affaires devenant mauvaises, il y aura des demandes de liquidation. »).

Ce livre, appelé à être l'un des bréviaires de la mouvance nationale dans les années à venir, s'inscrit, sans surprise quand on a déjà lu d'autres textes de son auteur, et plus encore que son Mélancolie française, dans une forme de filiation à l'égard de l'école d'Action française.

Stéphane BLANCHONNET

Article paru sur a-rebours.fr puis dans L'AF2000


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