Le Schtroumpfissime

   L’appropriation par les militants d’AF de la culture de la bande dessinée dans la période contemporaine témoigne de la vitalité et des capacités de renouvellement de notre mouvement. Les détournements des aventures du Concombre masqué de Mandryka ou de la Marque jaune, célèbre album de la série Blake et Mortimer, ont marqué les publications de la « Génération Maurras » des années 90 (Le Feu Follet, Insurrection). Autre inspiration importante pour les jeunes maurrassiens : la lecture du Sceptre d’Ottokar  d’Hergé où Tintin vole au secours du roi de Syldavie, symbole de la résistance d’une autorité monarchique éclairée et bienfaisante à la montée des régimes totalitaires. Mais le plus important des albums de bande dessinée pour la jeunesse d’AF est sans doute Le Schtroumpfissime de Peyo dont une réédition savamment commentée par Hugues Dayez vient de paraître chez Dupuis.
   Il s’agit de la première longue aventure en quarante planches des Schtroumpfs, parue en 1964 dans Le Journal de Spirou. Jusque-là les petits hommes bleus n’avaient inspiré à leur auteur que des mini-récits et deux histoires en vingt planches. L’argument est simple : le Grand Schtroumpf quitte le village pour partir en quête d’un ingrédient pour ses préparations alchimiques. Pendant son absence le peuple Schtroumpf veut se choisir un chef provisoire et la lutte de tous contre tous s’engage. Il en résulte une anarchie complète. Finalement, un Schtroumpf plus malin que les autres propose d’élire le remplaçant du Grand Schtroumpf et, en se livrant à la démagogie la plus effrénée (promettant tout à tous), il réussit à se faire élire. Une fois élu, le Schtroumpf “président” se proclame Schtroumpfissime et s’entoure d’un apparat digne de l’empereur Bokassa ! Il finit par instaurer une tyrannie inouïe à laquelle une conjuration de la moitié du village et surtout le retour du Grand Schtroumpf pourront mettre heureusement un terme à la fin de l’album.
   L’art avec lequel Peyo ridiculise la campagne électorale du futur Schtroumpfissime fait immédiatement penser à la satire des démagogues de la démocratie athénienne proposée par Aristophane dans Les Cavaliers. Le processus qui conduit directement la démocratie à la tyrannie n’est pas sans rappeler aussi le livre VIII de la République de Platon, les exemples historiques de César, Napoléon ou Hitler, ainsi que la leçon politique offerte par Maurras dans De Démos à César. La distinction assez guénonienne entre la nature du pouvoir du Schtroumpfissime, fondée sur la séduction des masses, et celle de l’autorité du Grand Schtroumpf, sorte de roi-prêtre, magicien, alchimiste, dont la légitimité échappe totalement à l’opinion, manifeste enfin avec éclat ce qui distingue un pouvoir tyrannique moderne d’une monarchie traditionnelle. Bien sûr, l’album n’est pas seulement un conte philosophique et sa dimension comique fait beaucoup pour rendre la leçon agréable, à la manière des Fables de La Fontaine.
   Les commentaires d’Hugues Dayez ajoutent indéniablement quelque chose à l’intérêt d’une relecture de l’album. Son travail est surtout remarquable en ce qui concerne l’étude des sources de l’œuvre et des nombreux effets d’intertextualité qu’elle présente. L’analyse de ces jeux d’écho entre la BD de Peyo et d’autres productions de la même époque est très enrichissante. On peut toutefois regretter un manque d’approfondissement de la dimension politique de l’album… Puissions-nous modestement contribuer à corriger ce manque.

Stéphane BLANCHONNET

Article d'abord paru sur a-rebours.fr puis repris dans L'Action Française 2000


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