Le retour du blasphème

Pourquoi faut-il lire le copieux essai d'Anastasia Colosimo, Les Bûchers de la liberté, paru récemment chez Stock ?

D'abord parce que sa thèse quoi qu'elle soit extrêmement simple et à bien des égards évidente pour les observateurs critiques de la modernité que nous sommes, n'en est pas moins nécessaire à l'édification de nos contemporains : non, on n'en a jamais fini avec le sacré et son corolaire qu'est le blasphème. Oui, ce dernier a pour fonction « plus encore que de dire le Bien et le Mal, de départager les bons et les méchants. » (p. 225)

Il faut ensuite lire ce livre parce que l'auteur illustre de faits abondants et d'exemples frappants, surtout judiciaires, le mouvement qui voit l'Occident sacraliser la liberté d'expression, la démocratie et les droits de l'homme, pour se protéger du retour du fanatisme religieux, islamique en l'occurence, sans voir que cette sacralisation s'accompagne nécessairement d'un rétablissement du crime de blasphème et du délit d'opinion. Seuls les naïfs s'en étonneront. Les autres savent que dans toute guerre, un mécanisme mimétique tend naturellement à rapprocher les pratiques des belligérants.

Le livre est incontournable enfin car le cas de la France, qui occupe surtout Anastasia Colosimo, est exemplaire. Notre pays à la différence de ses voisins (et c'est un autre intérêt du livre de nous le rappeler) avait jusqu'ici une des législations les plus protectrices pour la liberté d'expression. En effet, le droit français ne reconnaissant pas traditionnellement d'offense aux doctrines religieuses elles-mêmes, mais seulement aux personnes physiques, à leur honneur, à leur réputation, était le moins susceptible de permettre la reconstitution d'un crime de blasphème. Or, la loi Pleven de 1972, les modifications apportées dans la période récente à la loi sur la liberté de la presse de 1881 ainsi que les différentes lois dites mémorielles, ont petit à petit permis de rétablir ce délit, en contrebande pourrait-on dire, par l'intermédiaire de l'antiracisme et de la reconnaissance des offenses faites à de prétendus groupes ou communautés.

Ce mouvement de dénaturation de notre droit, nourri depuis vingt ou trente ans par des initiatives judiciaires émanant d'associations confessionnelles (chrétiennes, musulmanes ou juives) connaît une accélération spectaculaire depuis les attentats de Charlie Hebdo et les différentes affaires Dieudonné. On a vu notamment sous l'égide de la gauche de gouvernement (apparent paradoxe qui là encore ne surprendra que les naïfs) une Christiane Taubira, si douce avec la délinquance ordinaire, encourager les juges à frapper avec une virulence inédite de simples propos tenus par de jeunes écervelés sur Facebook ou Twitter.

La conclusion d'Anastasia Colosimo est pessimiste et on ne peut malheureusement pas lui donner tout à fait tort : « qui sera celui qui portera au Parlement le projet de loi visant à abolir la loi sur la provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence en raison de l'appartenance raciale, ethnique ou religieuse ? [...] Ces lois-là personne ne pourra les défaire. Le piège s'est déjà refermé. » (p. 224) Personne ? Non certainement. À moins bien sûr de changer de régime !

Stéphane BLANCHONNET

Article publié sur a-rebours.fr et dans L'AF2000


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