Du féminisme au gender

Si l'on considère la distinction classique entre le féminisme universaliste (« la femme est un homme comme les autres ») et le féminisme différentialiste (« la femme est l'avenir de l'homme »), la théorie du genre apparaît clairement comme une proche parente du premier de ces féminismes puisqu'il s'agit de distinguer le sexe biologique d'un prétendu "sexe social" (le terme "genre", décalque de l'anglais gender, servant à désigner ce dernier) dans le but avoué (chez les théoriciens) ou plus ou moins caché (chez les politiques qui adoptent la théorie) de nier la différence des sexes.

Par scrupule de méthode et aussi pour répondre aux attaques du système politico-médiatique (particulièrement virulentes depuis que des parents d'élèves, catholiques et musulmans notamment, ont manifesté leur hostilité au gender), il apparaît nécessaire de bien établir que la « théorie du genre » peut légitimement être désignée de la sorte, autrement dit que le mot « théorie » rend mieux compte du phénomène que l'expression « études de genre ». Ce faisant, nous justifierons par la même occasion le lien que nous établissons ici entre féminisme universaliste et théorie du genre.

Qu'est ce qu'une théorie sinon un ensemble d'idées qui, conformément à l'étymologie du mot (qui a notamment signifié « défilé », « procession » en grec), cheminent dans la même direction, convergent vers un même but, forment une chaîne cohérente ? Or, les « études de genre » présentent à l'évidence ces caractéristiques d'unité. Comme le reconnaît le magazine de référence Sciences Humaines dans un article récent consacré au sujet, il s'agit essentiellement du passage dans le champ des sciences humaines d'un certain nombre de questionnements (et aussi de conclusions !) issus de milieux militants : « Le concept de gender est né aux Etats-Unis dans les années 1970 d'une réflexion autour du sexe et des rapports hommes / femmes. Le mouvement féministe, qui a pris de l'ampleur après la révolution sexuelle, cherche à faire entendre sa voix au sein des institutions de recherche. Il s'agit de faire reconnaître un engagement qui se veut de plus en plus une réflexion renouvelée sur le monde. » (Sandrine Teixido et alii, « Les gender studies pour les nul(-le)s », Sciences Humaines, article en ligne). Un rapide survol des principales références des « études de genre » nous révèle d'ailleurs que celles-ci appartiennent presque toutes aux milieux féministes et/ou homosexuels (lesbiens). Une Judith Butler incarne à merveille cette ambiguïté entre militantisme et recherche scientifique.

Une fois l'origine militante de cette idéologie établie et reconnue, il faut se demander ce qu'elle vaut. En réalité, pas grand chose. La force de la théorie du genre réside bien plus dans le soutien que lui apportent les lobbies qui ont intérêt à sa diffusion, et qui en assurent efficacement la promotion auprès d'instance comme l'ONU, l'UE, les différents États et les partis politiques, de gauche ou de droite, que par ses qualités intrinsèques. L'exemple de l'anthropologie est assez révélateur à cet égard.

Les partisans de la théorie du genre s'épuisent à longueur de thèses et d'ouvrages en tentatives désespérées pour infirmer la règle (les modèles anthropologiques classiques) aux moyens d'exceptions dont la portée et souvent même l'existence sont contestables : la réfutation des travaux de Margaret Mead sur certaines peuplades océaniennes ou l'abandon total du mythe du matriarcat par les anthropologues sérieux en sont de parfaites illustrations. Nous renvoyons le lecteur sur ce point à un autre article de la revue Sciences Humaines, paru en novembre 2005 (Numéro spécial n°4) sous la plume de Nicolas Journet, et intitulé « Le fantasme du matriarcat ». Un regard objectif sur les sociétés humaines nous montre, à l'opposé des présupposés de la théorie du genre, que les rôles sociaux attribués aux deux sexes sont de manière très universelle liés aux différences biologiques. Alain de Benoist par exemple résume bien cela dans son dernier ouvrage, Les Démons du Bien, et j'en ai moi-même fait, à de nombreuses reprises, la démonstration dans ces colonnes ou lors de conférences disponibles sur la Toile.

Montrer que la théorie du genre échoue systématiquement dans sa volonté de nier la continuité entre le biologique et le culturel ne suffit pourtant pas à la vaincre. Il y aura toujours quelques esprits tortueux qui nous rétorquerons que, à l'instar du bon sauvage dans la philosophie des Lumières, il s'agit de produire des mythes qui pour être faux historiquement n'en sont pas moins porteurs de valeurs qui répondent aux aspirations du présent et aux nécessités de l'avenir. Et bien, cela nous paraît encore plus faux. La société post-moderne crève littéralement de l'anomie, de l'absence de repères et de cadres. S'acharner, dans ce contexte, sur les derniers facteurs d'identité qui restent aux individus (les fameux "stéréotypes de genre") c'est sacrifier la santé mentale du plus grand nombre à l'intérêt de la petite minorité qui, par nature ou par choix, se trouve en marge des cadres de l'identité sexuée. Ce processus nihiliste ne sert d'ailleurs pas que les affaires du lobby LGBT : il entre aussi furieusement en consonance avec les derniers développements du capitalisme. Il n'est plus question aujourd'hui de vendre, dans les pays développés du moins, des biens d'équipement aux consommateurs mais plutôt, comme l'avaient bien analysé les situationnistes, de créer en permanence de faux besoins. La destruction des structures anthropologiques traditionnelles comme la famille favorise à l'évidence ce processus en produisant un individu nouveau dont les désirs comme l'identité sont en permanente redéfinition : un adolescent inquiet et fébrile qui, de 7 à 77 ans, cherchera dans les gadgets proposés par le marché des remèdes éphémères à son vide intérieur et à son absence de lien réel avec autrui.

Stéphane BLANCHONNET

Article d'abord paru sur a-rebours.fr puis dans l'AF2000


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