Les Héros sont-ils fatigués ?


    Quand Claude Habib écrit que « la violence contre les femmes doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une honte pour celui qui y recourt », elle laisse entendre d’une part que ce principe est en crise et d’autre part que cette crise n’est pas anodine. Dans le cadre de son argumentation en faveur de la galanterie et, plus généralement, de la délicatesse masculine, elle suggère qu’il faut opposer aux faits que sont les violences conjugales (1), les viols (2) et les agressions multiples dont sont victimes les femmes, en banlieue notamment, non seulement des mesures de police et de justice (comme le proposent la plupart des candidats à la présidence de la République) mais aussi, plus profondément, l’exaltation du respect de la femme et, dans l’ordre des représentations, des images susceptibles de rétablir la qualité de nos mœurs. Cette question des représentations et des valeurs qu’elles véhiculent est en effet le parent pauvre du débat actuel sur les « violences faites aux femmes ».

Malaise dans les représentations


    Y a-t-il aujourd’hui dans le cinéma, la télévision ou encore la bande dessinée, une remise en cause du principe en vertu duquel un personnage masculin se déshonore en brutalisant une femme ? Claude Habib semble le penser et en donne un exemple : « dans L’Esquive (3), un garçon peut frapper une fille en plein jour pour obtenir un renseignement. Cela signifie que la violence est admise : elle n’est pas humiliante pour celui qui l’emploie. » On pourrait en donner d’autres exemples et cela dans des registres très différents. Ainsi, dans la saison 5 de la série 24 Heures chrono, le protagoniste, Jack Bauer, en vient à tirer dans les jambes de la femme d’un suspect, une femme de surcroît désarmée et inoffensive, pour arracher des aveux à ce dernier. Une telle brutalité à l’égard d’un personnage féminin est nouvelle en ce sens que traditionnellement, dans la fiction, seuls les “méchants” se déshonoraient ainsi en s’attaquant à une femme. Un autre exemple, plus explicite, nous est donné par la bande dessinée. Dans un album de Batman de 1997, on voit le justicier de Gotham aux prises avec une bande de malfaiteurs qui compte une femme dans ses rangs. Au moment de l’affrontement final, la question de l’attitude du héros face au personnage féminin est posée ouvertement par ce dialogue :
« Lâchez-moi ! Mais arrêtez ! Je suis une femme !
– Je ne suis absolument pas sexiste. Je suis un justicier qui croit en l’égalité des droits et en l’égalité des représailles ! »

    La suite ne fait pas honneur au personnage créé par Bob Kane, chez qui on aurait aimé retrouver un peu plus d’esprit chevaleresque ou tout simplement de panache, et un peu moins de servilité à l’égard du prêt-à-penser paritaire ou égalitaire, qui a ici comme conséquence hautement paradoxale de justifier qu’un homme, – qui plus est un surhomme ! – , frappe une femme tout en prétendant conserver son statut de héros. On est loin de la noblesse d’un Bob Morane, préférant l’humiliation de la défaite à la honte de frapper une femme, fût-elle sa pire ennemie, dans un Un parfum d’Ylang-Ylang. Cette tradition des héros chevaleresques n’est heureusement pas tarie comme en témoigne, par exemple, le personnage du Scorpion de Marini et Desberg, un des succès de la B.D. française contemporaine. L’histoire, qui se veut une transposition très libre de l’univers des Trois Mousquetaires de Dumas mais hélas mâtiné d’emprunts au Da Vinci Code, présente en effet un héros dont le mâle courage va jusqu’à défendre l’épée à la main une jeune et belle gitane qui avait pourtant cherché à l’empoisonner.

Crise du héros chevaleresque


   Malheureusement le héros chevaleresque doit faire face à un double assaut. Il est pris entre les tirs croisés du féminisme radical d’une part et de la surenchère violente d’autre part. On lui reproche sa générosité envers les femmes au nom d’un certain intégrisme de la parité et on le considère comme un obstacle au développement exponentiel de la violence, qui semble être le véritable carburant de la fiction contemporaine. La série 24 Heures Chrono, encore elle, illustre bien cette dernière idée. Quand on a déjà fait tirer le protagoniste dans les jambes d’un suspect pendant un interrogatoire, comment repousser encore les limites dans la saison suivante ? En remplaçant le suspect par une suspecte, C.Q.F.D. Ce procédé aussi ignoble soit-il est d’ailleurs une sorte d’hommage du vice à la vertu en ce qu’il manifeste que la violence directe exercée par un prétendu “héros” sur une femme atteint de fait son but : réveiller la sensibilité de plus en plus émoussée et blasée du spectateur moderne, en brisant un tabou supplémentaire.
    Un autre péril qui menace le héros chevaleresque est la tendance de la fiction contemporaine à universaliser les personnages d’amazones, sur le modèle de Lara Croft ou de Nikita, qui envahissent littéralement les écrans de télévision ou d’ordinateur. Ces personnages, qui allient contre toute vraisemblance une force herculéenne et un agréable physique de Pin-up, sortent du phantasme masculin bien plus que de la réalité. En ce qui concerne plus spécifiquement les rôles de “méchantes”, un rapide survol des séries télévisées permet de constater que leur nombre s’accroît sensiblement d’année en année, là encore en vertu d’un préjugé paritaire plus que d’une conformité avec le réel. Rappelons qu’en France les femmes ne représentent dans la réalité que 4% de la population carcérale et que ce chiffre est stable depuis des décennies (4). Confronté à de tels phénomènes, comment le héros, – il y en a encore quelques uns qui résistent à la féminisation de la profession ! –, peut-il adopter la traditionnelle attitude chevaleresque, la seule qui corresponde à son ethos héroïque ? On sent confusément que, dans ce contexte, la perte de la vertu chevaleresque du héros constitue la phase ultime de son émasculation. En effet, la survie du héros traditionnel et de sa générosité virile est une insulte au féminisme en ce qu’il maintient vivante une image valorisante du mâle protecteur.
    Ces réflexions sur la situation des hommes et des femmes dans les représentations et leurs conséquences éventuelles sur les esprits ne surprennent pas sous la plume d’un rédacteur de ce dossier mais il est intéressant de noter qu’elles sont partagées à des degrés divers, non seulement par Claude Habib dans Galanterie française mais aussi par deux jeunes femmes écrivains et essayistes, Eliette Abécassis et Caroline Bongrand, dans leur récent ouvrage, Le Corset invisible, manifeste pour une nouvelle femme française, paru cette année chez Albin Michel. Peut-être appartenait-il en effet à des femmes de remettre en cause les premières certains préjugés féministes et de revaloriser un peu l’image de l’homme, y compris à ses propres yeux.

Stéphane BLANCHONNET

Article paru dans L'Action Française 2000 numéro 2722, du 5 au 18 avril 2007, dans le dossier Galanterie française (téléchargeable dans son intégralité).


(1) Une femme meurt tous les quatre jours en France sous les coups de son conjoint.
(2) 48000 femmes violées par an en France.
(3) Film d’Abdellatif Kechiche (2004).
(4) Rapport du Sénat de 2001.


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