Relire l'histoire des radicaux

Le premier mérite du livre d'Yves Morel (Histoire du Parti Radical, Via Romana 2015) est de nous raconter une histoire que nous avons tendance à négliger, celle des « républicains » de la IIIème République (à ne pas confondre avec les socialistes), République qui fut d'abord celle « des ducs » (et de l'attente de la restauration du comte de Chambord) et qui ne devint que tardivement « républicaine ». Histoire qui devrait pourtant nous être familière puisque le Parti Radical est avec nous la plus ancienne formation politique française. L'Action française fut fondée par Pujo et Vaugeois en 1899 et le « Parti républicain, radical et radical-socialiste » vit le jour deux ans plus tard, en 1901. L'AF et les radicaux sont d'ailleurs un peu des frères ennemis, les seconds incarnant l'établissement du régime républicain alors que la première est la seule force à s'y opposer avec une certaine vigueur au début du XXème siècle.

Le second mérite de ce livre est d'être une source d'enseignement pour notre « empirisme organisateur » puisqu'il nous permet d'illustrer une loi politique bien française : le « sinistrisme » (le mot est d'Albert Thibaudet) ou déplacement tendanciel vers la gauche de la vie politique, qui voit les partis de gauche sans cesse poussés vers la droite par l'apparition d'une nouvelle frange progressiste plus « radicale ». La droite d'origine (monarchiste) étant, quant à elle (hors Action française), progressivement éliminée du champ politique. Les « radicaux » des années 1880, la gauche de la gauche de l'époque (par opposition aux républicains « opportunistes » ou « modérés »), devenus « radicaux-socialistes » en 1901, sont en effet aujourd'hui, à travers leurs héritiers du Parti radical « valoisien » (par opposition au PRG, allié du PS), une composante de la droite (hier de l'UMP, aujourd'hui de l'UDI) après avoir incarné le centre pendant l'entre-deux-guerres. Les radicaux ont été dépassés sur leur gauche par la SFIO, longtemps marxiste et révolutionnaire mais devenue progressivement elle-même un parti de centre gauche, voire, à travers son prolongement actuel, le Parti Socialiste, un parti « de droite » aux yeux de la gauche « radicale » contemporaine.

La Vème République n'a pas rendu cette loi caduque mais elle a sonné le glas de l'importance partisane du centre, et donc du Parti radical, dans la vie politique. Dans un régime présidentiel et bipartisan le paradoxe du centre est que moins il existe (à travers des hommes et des formations) plus il gouverne, selon la formule de Maurice Duverger remise au goût du jour par Eric Zemmour. On peut en revanche se demander si le succès du populisme de droite représenté par le Front National ne serait pas en train d'initier un renversement complet du sinistrisme, qui deviendrait donc un dextrisme, avec des formations de droite comme « les Républicains » poussées progressivement vers la gauche. Le choix de Juppé ou de Sarkozy pour représenter la droite en 2017 sera très instructif à cet égard.

Finalement le seul reproche que l'on peut faire à cet excellent petit ouvrage est de s'achever par une curieuse apologie du radicalisme, en forme de programme pour le XXIème siècle, qui reprend plus ou moins tous les poncifs « modernistes » sur l'Europe, la régionalisation ou la réforme de la fonction publique. Yves Morel nous avait paru mieux inspiré politiquement dans son essai en tout point remarquable sur la question scolaire, La Fatale perversion du système scolaire français, paru également chez Via Romana, en 2011.

Stéphane BLANCHONNET

Article paru sur a-rebours et dans L'AF2000


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