Monarchie à la dérive

   Dans un entretien accordé au journal luxembourgeois Le Quotidien daté du 18 juillet, Paul-Henri Meyers, président de la commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle, affirme sa volonté et celle de ses collègues parlementaires de « moderniser » la constitution du Grand-duché. Nos lecteurs savent en quelle estime nous tenons ce mot d’ordre de la « modernisation » qui dispense ceux qui le promeuvent de toute réflexion rationnelle puisque la « modernisation » est bien entendue et par nature l’alpha et l’oméga de toute chose, la panacée, le nec plus ultra en matière de droit, de politique, de morale, de mœurs, etc… En l’espèce, il s’agit notamment de rogner un peu plus les prérogatives du monarque luxembourgeois déjà sérieusement entamées par une première réforme constitutionnelle datée de 2008. Comme son voisin belge le roi Baudouin en son temps sur l’avortement, le Grand-Duc Henri avait refusé de sanctionner une loi sur l’euthanasie… Qu’à cela ne tienne ! Le gouvernement luxembourgeois de l’époque avait donc modifié la constitution en retirant au "souverain" le rôle de sanctionner la loi pour lui conserver uniquement celui de la promulguer. L’actuel projet de réforme lui enlèvera certainement cette dernière fonction.
     Mais les politiciens luxembourgeois ne sont pas les seuls dans le Grand-duché à rendre à l’idole de la « modernisation » le culte qui lui est dû. En effet, le 20 juin dernier le Maréchalat de la Cour grand-ducal annonçait que « sur ordre de Son Altesse Royale le Grand-Duc […] la réglementation interne de la Maison de Luxembourg-Nassau [avait] été modifiée à l’effet d’introduire l’égalité entre hommes et femmes en matière de succession au trône. Ce nouvel ordre successoral s’applique pour la première fois à la descendance du Grand-Duc Henri. » Après la Suède en 1980, les Pays-Bas en 1982, la Norvège en 1990 et la Belgique en 1991 (et avant le Royaume-Uni, où le Premier ministre s’y est déclaré favorable), le Luxembourg abandonne donc la préférence masculine dans la dévolution de la couronne (principe plus ou moins marqué selon les monarchies mais relativement universel). On sait que sa forme française, la fameuse loi salique, qui exclut complètement non seulement les filles mais aussi leurs descendants de la succession au trône, a permis à la France de se constituer, d’éviter de tomber en des mains étrangères (notamment anglaises), de faire l’économie des cruelles guerres de dévolution qui ont émaillé l’histoire de la plupart des monarchies européennes, et de conserver durant des siècles la même dynastie nationale (à tel point que les révolutionnaires ont pu donner à Louis XVI le patronyme de Capet !). Dans les autres États, la préférence masculine, même si elle était moins importante, rappelait que le roi était à l’origine le premier chevalier de son royaume, capable le cas échéant de le défendre lui-même, l’épée ou la lance la main. A l’époque où les rois régnaient et gouvernaient cela avait son importance…
    Il ne reste plus au Grand-Duc héritier Guillaume, âgé de 30 ans, qu’à épouser une belle roturière pour que le tableau soit complet. Les récents mariages princiers (à Monaco, en Grande-Bretagne, en Espagne) manifestent en effet, sur un autre plan, le déclin du rôle politique des monarchies européennes et leur évolution vers un statut purement « protocolaire » de VRP couronnés. Toujours à l’époque ou les rois gouvernaient, les mariages dans les familles souveraines étaient des actes de gouvernement et correspondaient à des choix diplomatiques. Cela est si vrai que la descendance des mariages morganatiques, c’est-à-dire inégaux, était exclue de la succession dans de nombreux royaumes et empires.
    La disparition progressive de tout ce qui dans les royautés européennes contemporaines pouvait rappeler qu’elles furent de véritables monarchies ne peut que nous préoccuper. Le fait notamment que le roi ou le prince souverain ne sanctionne plus les lois détruit complètement la principale justification de l’institution monarchique : sa fonction arbitrale. Quant à l’abrogation des lois saliques ou semi-saliques, elle manifeste que la sacralité des lois de dévolution et leur importance ne sont plus comprises. Si les préjugés égalitaires ont raison de la primogéniture mâle aujourd’hui, pourquoi n’auraient-ils pas demain ou après-demain raison du principe héréditaire lui-même ?

Stéphane BLANCHONNET

Article paru sur a-rebours.fr puis repris dans L'Action Française 2000 sous le titre "Une monarchie en danger"


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