Que reste-t-il du progressisme ?

 

   « Le culte contemporain du « Changement », qu’on trouve dans l’espace politique comme dans l’espace publicitaire, représente la dernière figure prise par le système des croyances progressistes. Pour le dire d’un mot, ce culte rendu au dieu « Changement » est le degré zéro de la « religion du Progrès », aujourd’hui moribonde ». Ces lignes figurent dans les premières pages du dernier essai de Pierre-André Taguieff, La Religion du progrès, paru exclusivement sous la forme d'un livre électronique (comme quoi, on peut dénoncer le progressisme sans refuser le progrès !) et téléchargeable sur le site Tak.fr

    Ce bref ouvrage nous propose de dépasser le simple agacement devant la platitude démagogique du slogan électoral de François Hollande pour remonter le temps à la recherche des origines d'un tel naufrage de l'idée de progrès. Fidèle à son programme, il nous raconte comment le progressisme, philosophie discutable mais aux prises avec le réel et en phase avec le mouvement du monde au XVIIIème siècle, s'est transformé en religion séculière, dogmatique et exclusive, au XIXème siècle, pour finir en superstition pure et simple à la fin du XXème siècle ; superstition, foi morte, idéologie résiduelle, qui continue à servir de prêt-à-penser aux journalistes et aux politiciens qui mènent l'opinion publique mais que les intellectuels sérieux ont abandonné depuis longtemps devant les démentis cinglants que la barbarie technicienne et les deux guerres mondiales ont apportés à ses illusions.

    Le mérite du livre de Taguieff est d'être synthétique conformément à son sous-titre, « Esquisse d'une généalogie du progressisme », sans être pour autant superficiel. Il nous démontre à travers un choix judicieux de citations comment l'idée de progrès, encore relative au XVIIIème, comme le prouve l'article « Progrès » de l'Encyclopédie, qui ne connaît encore que des progrès particuliers dans des domaines précis, est devenue totalisante et incantatoire au XIXème, comme en témoigne cette citation du Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse (publié de 1866 à 1876) : « Le progrès n’est pas seulement dans l’individu ; mais il est encore, et par suite, dans le genre humain. Il est la loi même de l’espèce. Nous devons tenir pour la véritable foi cette foi au progrès qui soutient notre marche. Croyons au progrès, sans le scinder ; au progrès un, dans lequel tous les progrès se tiennent. C’est la foi de notre âge et c’est la bonne ». Ce progressisme à la fois naïf et absolu deviendra ensuite « comme la proto-religion séculière ou la matrice des religions séculières » du XXème siècle, avant de se dégrader, après les camps et Hiroshima, en un simple rabâchage dont le « changisme » hollandien n'est qu'un des nombreux avatars contemporains.

    La dernière partie du livre se présente quant à elle comme un plaidoyer en faveur du « méliorisme » que Taguieff présente comme un juste milieu très aristotélo-thomiste entre conservatisme et progressisme : « ni vouloir préserver ou restaurer à tout prix, ni désirer transformer sans limites, mais conserver ce qui mérite de l'être, après inventaire, évaluation et tri. C'est ce que j'appelle conservatisme critique. » Une position que ne récuseront pas les maurrassiens dont le maître a écrit que « la vraie tradition est critique ».

 

Stéphane BLANCHONNET

Article d'abord paru sur a-rebours.fr puis repris dans L'AF2000


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