Le compromis nationaliste

 

   La notion de « compromis nationaliste » est une des meilleures clés pour entrer dans la pensée d'Action française. Si la célèbre formule, « les libertés en bas, l'autorité en haut », exprime en quelque sorte le but vers lequel nous marchons (restaurer une autorité forte, à la légitimité incontestable, qui n'aura plus besoin de tout administrer et de tout régenter pour subsister), le « compromis nationaliste » exprime, quant à lui, la ligne de conduite qui est la nôtre tant que ce but n'a pas été atteint.
    En effet, l'Action française, – et c’est son originalité par rapport aux autres mouvements royalistes –, ne fait pas de la monarchie une idéologie, un système, encore moins un préalable ! Pour Maurras, le seul absolu en matière politique est la reconnaissance de la nature sociale de l’homme. Tout le reste est contingent. La nation est présentement la forme la plus solide et la plus complète d’organisation politique que nous connaissions et sa défense s’impose donc à quiconque veut faire prévaloir les choix politiques sur le simple jeu des intérêts économiques, mais il n’en a pas toujours été ainsi et il n’en sera pas forcément toujours ainsi. De même, la monarchie est le régime qui répond le mieux aux exigences de l’histoire et du tempérament français mais ce modèle n’est pas requis pour tous les peuples, sous toutes les latitudes. Cette manière d’envisager les choses, que l’on pourrait qualifier jusqu’à un certain point de positiviste, permet à l’A.F. de hiérarchiser son action : la philosophie et l’histoire nous conduisent d’abord au nationalisme puis le nationalisme nous conduit à son tour à la conclusion monarchique. C’est l’empirisme organisateur.
    Ecoutons Maurice Pujo faire en 1937 l’application de ces principes au problème de l’union des patriotes : « Chez nous, à L’Action française, la méthode dans l’action est la même que dans la doctrine : c’est celle de l’empirisme organisateur. Qu’il s’agît de viser le but final ou d’atteindre des objectifs limités, pour nous l’action, toujours conduite par l’idée, a toujours eu pour matière les événements. N’envisageant comme moyens qu’une élite consciente et énergique d’une part, de l’autre les forces latentes du patriotisme français à mobiliser seulement pour la sauvegarde de quelque grand intérêt du pays, cette action vigilante a été étroitement liée à la vie nationale. » Autrement dit, la politique de l’Action française consiste à discerner au jour le jour, dans chaque événement de la vie nationale et internationale, où se trouve l’intérêt français et, une fois ce discernement opéré, à tout mettre en œuvre pour servir cet intérêt national. Le « compromis nationaliste » consiste en cette collaboration permanente avec toutes les forces qui agissent, ponctuellement ou de manière plus durable, dans le sens de l’intérêt national et cela sans aucune considération partisane. Maurice Pujo le dit autrement : « Nous avons des convictions, mais nous sommes sans préjugés ». Dans notre histoire récente, on peut citer l’exemple de Pierre Pujo accueillant Jacques Chirac à Mayotte pour conserver un territoire d’outre-mer à la France ou celui du soutien que le même Pierre Pujo apporta aux initiatives souverainistes, qu’elles viennent d’un Chevènement ou d’un Séguin, pour combattre les partisans d’un Etat européen supranational.
    Bien entendu, le « compromis nationaliste » n’a rien de commun avec la logique des alliances. Nous n’avons pas vocation à nouer des alliances permanentes, à signer des accords avec des partis ou des hommes de parti, à adhérer à des confédérations de mouvements dont nous deviendrions une composante parmi d’autres… L’Action française, disons-le sans fausse pudeur, a la certitude de posséder la doctrine du salut national. Elle continuera donc à la proclamer. Mais, dans le même temps, elle ne cessera pas non plus de mener son combat quotidien en faveur des intérêts de la France avec tous les Français de bonne volonté, qu’ils partagent ou non la totalité de nos idées. Qu’on nous comprenne bien : le « compromis nationaliste » n’est pas une option, un point de détail dans la pensée d’Action française. En cessant de le pratiquer nous abandonnerions le terrain politique pour devenir une chapelle royaliste comme les autres, une simple sensibilité.

Stéphane BLANCHONNET

Article d'abord paru sur a-rebours.fr puis repris dans L'Action Française 2000.

Note : les citations de Maurice Pujo sont tirées de sa brochure Le Problème de l'union, paru à La Librairie d'Action française (1937).


Vos commentaires