Vers la dissolution du mariage civil ?

    Jusqu'ici les choses étaient claires. Le mariage était à la fois la plus évidente et la plus universelle des réalités. Cette évidence et cette universalité sont attestées par les anthropologues comme Claude Levi-Strauss : « La famille, fondée sur l'union plus ou moins durable, mais socialement approuvée, de deux individus de sexes différents qui fondent un ménage, procréent et élèvent des enfants, apparaît comme un phénomène pratiquement universel, présent dans tous les types de société » (Le Regard éloigné, 1967). Elles le sont également par les rédacteurs de notre Code civil comme Portalis : « Le mariage est la société de l’homme et de la femme unis pour perpétuer l’espèce, porter ensemble le poids de la vie et partager leur destinée » (travaux préparatoires du Code civil).
    Aujourd'hui, le projet du gouvernement d'ouvrir le mariage civil aux couples de même sexe contredit à la fois la définition et la fonction du mariage. Non seulement, les couples homosexuels ne sauraient perpétuer l'espèce (raison pour laquelle la société reconnaît officiellement l'union légitime entre l'homme et la femme, appelée justement « mariage », et raison pour laquelle elle entoure cette réalité de protection et d'avantages) mais il faudrait encore que la société payât deux fois sans la moindre contrepartie : une fois pour procurer à ces couples des avantages fiscaux à la seule raison qu'ils éprouvent un sentiment amoureux et une deuxième fois pour leur permettre d'obtenir des enfants via la procréation médicalement assistée, cette dernière sortant de son rôle d'adjuvant pour des couples inféconds « par accident » qui cherchent une aide dans la poursuite d'une finalité naturelle, pour devenir un moyen pur et simple de fabrication d'enfants pour des couples qui sont, eux, stériles « par nature ».
    Mais ce projet, quelle que soit son absurdité, n'apparaît pourtant pas comme un coup de tonnerre diabolique dans le ciel serein du mariage. Rappelons qu'il y a aujourd'hui presque deux fois moins de mariage par an que dans les années 70 (malgré l'augmentation de la population générale), que les couples d'homme et de femme (la part des couples homosexuels étant très minoritaire) contractent presque autant de PACS que de mariages, qu'il y a chaque année un divorce pour deux mariages (contre environ un divorce pour dix mariages en 1972 !), que le nombre des naissances hors mariage, qui ne cesse de croître, est même supérieur à celui des naissances dans le mariage depuis 2007. Notons au passage qu'il faudrait être fou, stupide ou tout simplement malveillant, comme le sont hélas plus ou moins entièrement nos pseudo-élites, pour penser qu'un effondrement aussi spectaculaire de la famille traditionnelle, « cellule de base de la société », soit sans conséquence politique et sociale. Mais quelles sont les causes de cet effondrement ? Elles sont nombreuses et variées. Les unes sont liées à l'idéologie égalitaire que Tocqueville a bien fait de nommer une « passion démocratique » en ce sens qu'elle est une pulsion irrépressible et qu'aucune raison (comme le Bien commun, l'intérêt général, la morale) ne saurait l'endiguer sans un changement complet de paradigme, les autres à des transformations de ce que Marx appelle l'infrastructure (les conditions matérielles de l'existence, de la production et des échanges, l'économie, la technique).
    Le premier fondement du mariage, qui est étroitement associé à sa finalité, la procréation, mais qui s'en distingue comme quelque chose de plus large et de moins précis, est la complémentarité homme-femme. Les hommes et les femmes se marient pour pouvoir se reproduire mais aussi parce que chaque sexe a besoin de l'autre. La femme en particulier, à cause de sa faiblesse physique relative, qui connaît son paroxysme dans les périodes où elle est enceinte (ce qui arrive fréquemment dans les sociétés traditionnelles), a de toute évidence besoin d'un protecteur. Quant à l'homme, il a besoin de s'assurer la fidélité d'une femme pour authentifier sa descendance. C'est ce principe anthropologique fondamental qu'illustrent aussi bien la formule de saint Paul utilisée dans la forme traditionnelle du mariage catholique (« Femmes, soyez soumises à vos maris […] Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église et s'est livré pour elle ») que celle qui figurait jadis dans le Code civil à l'article 213 (« le mari doit protection à sa femme, la femme doit obéissance à son mari »), pour ne prendre que des exemples dans notre culture religieuse ou laïque. Or cette complémentarité a été attaquée ou même niée idéologiquement par le féminisme ou les actuelles théories du gender. Négations qui seraient restés lettre morte si, par ailleurs, dans les faits, la force physique de l'homme, principale source des revenus du foyer, n'était devenue de moins en moins nécessaire du fait de la régression de l'emploi dans les secteurs agricoles et industriels et du développement du machinisme. Ce phénomène s'ajoute à l'évolution du capitalisme de production d'hier (qui avait besoin de faire baisser les coûts de production en faisant travailler les femmes et les enfants) comme du capitalisme de consommation d'aujourd'hui (qui a intérêt à accroître le nombre de consommateurs et à diminuer la part de l'autoconsommation et de l'économie domestique). Quant à la sécurité, à la protection, elle est aujourd'hui entièrement socialisée. Il serait intéressant à cet égard de comparer l'évolution du rapport entre le nombre de policiers et le nombre d'habitants depuis la Révolution, de comparer aussi le type de missions de la police à l'origine et aujourd'hui... On se rendrait compte que dans une société d'hommes libres, il n'y avait pas besoin de beaucoup de policiers pour assurer ce qu'on appelait la « basse police » (la lutte contre la délinquance, la petite criminalité et les fameuses « incivilités »). Voilà pour le déclin du rôle traditionnel de producteur et de protecteur de l'homme. Pour ce qui est de la garantie pour l'homme de sa filiation, les tests ADN font passer la fidélité conjugale de vertu cardinale du sexe féminin et de fondement de la société, à simple vertu personnelle dans le cadre d'une relation sentimentale.
    Si la complémentarité homme-femme est en quelque sorte la cause matérielle du mariage, la procréation en est la cause finale. Or la légalisation de l'avortement, de la contraception, la promotion de cette dernière, sa large diffusion, sa prise en charge par la sécurité sociale ainsi que le développement, en parallèle, d'une société hédoniste où la prospérité d'une famille se manifeste plus dans sa capacité à consommer que dans le nombre de ses enfants (autre valeur cardinale et autre bénédiction mentionnée dans tous les rites nuptiaux traditionnels : la fécondité), ont pour conséquence la diminution considérable du nombre d'enfants par femme, y compris dans les couples mariés, et l'inversion des fins du mariage ; la dimension « horizontale », sentimentale et affective, le « couple » selon la formule consacrée qui fait la fortune de certains psy, prenant le dessus sur la dimension « verticale », les enfants, la filiation, le lignage. Sur ce dernier point, il est intéressant de noter que le droit de l’Église lui-même, le droit canon, a connu un infléchissement assez similaire, bien que beaucoup plus limité, puisque le code de droit canon de 1983 ne reconnaît plus officiellement de hiérarchie entre les fins du mariage à la différence de celui de 1917, qui plaçait la procréation et l'éducation des enfants au-dessus de « l'aide mutuelle et du remède à la concupiscence ».
    Le mariage représentait aussi jadis une garantie de solidité (pour les enfants, pour la société) de plus en plus compromise aujourd'hui avec les réformes successives du droit pour rendre le divorce toujours plus facile et indolore. Il apportait aussi une forme de reconnaissance sociale dont on voit bien qu'elle n'est plus considérée comme nécessaire, que ce soit pour la filiation depuis la disparition de toute distinction entre enfants naturels et enfants légitimes (1972) ou au plan de la respectabilité puisque les Français viennent d'envoyer à l'Elysée un homme qui ne s'est jamais marié mais a eu des enfants d'une première femme avant de vivre avec l'actuelle « first girlfriend ». Il n'y a semble-t-il plus, en France, que certains homosexuels pour aspirer à cette respectabilité offerte par la conjugalité ! Enfin le mariage offrait encore il y a peu quelques avantages économiques, notamment fiscaux que l'apparition de nouveaux contrats concurrents et presque aussi avantageux (PACS) rend caducs.
    Le mariage civil a donc pratiquement cessé d'être une institution pour devenir un contrat de vie parmi d'autres, et un contrat en déclin. Alors faut-il souhaiter sa suppression ou du moins faire cesser l'obligation de passer devant le maire avant de passer devant le curé, comme certains catholiques le demandent aujourd'hui ? La tentation est forte, surtout si le pseudo mariage homosexuel devait finalement voir le jour. La séparation complète du mariage religieux et du mariage civil (aujourd'hui condamnable pénalement) aurait au moins le mérite de permettre clairement aux catholiques (et à tous ceux pour qui les mots ont un sens) de manifester par là que le mariage civil, désormais totalement dénaturé, ne saurait être confondu avec cette réalité de droit naturel dont l’Église reconnaît la valeur indépendamment de sa forme religieuse et canonique (ce qui explique que pour l’Église des époux mariés seulement civilement ou dans une autre religion sont tout de même tenus, aux yeux de la loi morale, à la fidélité conjugale). Mais il est trop tôt pour envisager cette solution radicale et la priorité doit être de jeter toutes nos forces dans l'opposition à ce scandaleux projet gouvernemental de « mariage pour tous ». Il n'est pas interdit de penser que les pleutres qui nous gouvernent, pourraient être impressionnés par la mobilisation du pays réel le 13 janvier comme ils l'ont déjà été le 17 novembre et renoncer à leur projet insensé.

Stéphane BLANCHONNET

Article d'abord paru sur a-rebours.fr puis repris dans L'AF2000


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