Démocratie ou démocratie

Il peut exceptionnellement arriver que Maurras prenne en bonne part les termes de « République » ou de « Républicains », soit qu'il désigne, par le premier, des régimes du passé ou de l'étranger (« Comme nous l'avons souvent dit, le régime républicain peut rencontrer des conditions d'histoire-géographie qui ne lui sont pas défavorables... » L'Action Française du 20 novembre 1928) ou encore qu'il le mette au pluriel pour désigner les corps intermédiaires de la monarchie décentralisée (les fameuses « républiques sous le roi »), soit qu'il utilise le second dans un sens historique là encore très déterminé (« Il y a donc une espèce de citoyens qui sont préoccupés de l'intérêt public ; le XVIIème siècle les appelait des républicains », Napoléon avec ou contre la France).

A l'inverse, le maître de l'Action française manifeste toujours une aversion absolue pour les mots de « Démocratie » et de « Démocrate ». Il s'applique d'ailleurs à ne pas laisser de doute sur l'étendue de son rejet en distinguant les différents sens possibles du mot « démocratie »  : « La démocratie est le gouvernement du nombre. On appelle encore démocratie l'état social démocratique - un état égalitaire de la société dans lequel les différences de classe seraient inexistantes ou abolies. On appelle enfin démocratique un ensemble d'idées et un corps d'institutions ou de lois, tendant soit au gouvernement du nombre, soit à l'état égalitaire de la société » (La Démocratie religieuse). Maurras voit, à la suite de Platon, dans le « gouvernement du nombre » un régime nécessairement démagogique et ploutocratique conduisant à terme à la tyrannie, et dans « l'état social démocratique », égalitaire, une antiphysie puisque l'existence de hiérarchies (différentes de celle de l'Or) est, pour ce disciple d'Auguste Comte, la condition de l'ordre et du progrès.

Aujourd'hui la démocratie déborde, par le haut et par le bas, le cadre pourtant déjà large dans lequel l'envisageait Maurras. Par le haut parce qu'elle est devenue synonyme de liberté, d'Etat de droit, de prospérité, de justice (en ce sens Maxence Hecquart a raison de la qualifier de « religion séculière » ou de « religion de substitution ») et par le bas parce qu'il est quasiment devenu impossible de parler (et surtout d'être compris en parlant !) de « représentation » du peuple sans employer les termes de « démocratisation » ou de « démocratie directe ».

L'Action française qui a toujours été favorable à la décentralisation, à la subsidiarité, qui n'a par ailleurs jamais été hostile par principe au suffrage universel (mais à certaines de ses applications), se trouve donc confrontée à la difficulté pour mettre en avant cette part "démocratique" (selon le vocabulaire du jour) de sa doctrine de devoir en permanence rappeler les distinctions nécessaires, employer le terme entre guillemet, bref parler la langue de l'adversaire pour la traduire dans la sienne. Tant que nous n'aurons pas gagné le combat culturel et imposé notre vocabulaire, il nous faudra pratiquer cette gymnastique sémantique.

Stéphane BLANCHONNET

Article paru sur a-rebours.fr et dans L'AF2000


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