Voltaire, une imposture
Avant de parler du fond de la démystification de Voltaire menée à bien par Marion Sigaut, quelques mots sur la forme. Comme souvent chez Kontre Kulture, le livre en lui-même se signale par la beauté de sa couverture, la qualité du papier et celle de l'impression. De même, l'intérêt croissant des chapitres, – des petites anecdotes du début aux deux grandes affaires de la fin (Calas et La Barre) –, la familiarité du ton et l'art de ménager le suspens, font que l'on dévore comme un roman policier ce pourtant très riche travail historique.
Autre qualité en quelque sorte liminaire qui ne peut que ravir le lecteur et le mettre en confiance : l'honnêteté intellectuelle de Marion Sigaut qui, malgré son indignation devant les mensonges et les hypocrisies de Voltaire, ne lui dénie jamais ses qualités d'écrivain, sauf quand il s'agit de son œuvre de dramaturge, ou qui compatit avec une sincérité évidente aux malheurs d'un Calas ou d'un chevalier de La Barre, dont elle démontre pourtant qu'ils n'étaient pas si innocents que Voltaire le raconte.
Mais ce qui retiendra surtout notre attention, c'est la réhabilitation du fonctionnement de la justice et de la police du XVIIIème siècle, que l'auteur opère (à l'exclusion de la torture évidemment) en comparant systématiquement les allégations de Voltaire et ce qui ressort des nombreux documents d'archives qu'elle a consultés : minutes, registres, procès verbaux, correspondance des magistrats, rapports de médecine légale (dont on apprend au passage qu'elle était déjà pratiquée à l'époque). Le lecteur est abasourdi de découvrir que l'idée qu'il se faisait jusque-là de ces affaires judiciaires fameuses n'était en fait que le rabâchage par une tradition historiographique complaisante et paresseuse de la version polémique, animée de passion anti française et anti catholique, de l'ami du roi de Prusse et de l'Angleterre, de ce BHL du siècle des prétendues "Lumières".
C'est d'ailleurs par cette dernière comparaison que l'on saisit toute l'actualité du travail de Marion Sigaut. A nouveau, les mânes de l'escroc de Ferney sont invoquées un peu partout et particulièrement dans l'entreprise en cours de récupération de l'émotion des Français au lendemain des attentats islamistes. Or si Voltaire doit être pris aujourd'hui comme symbole de quelque chose ce n'est sûrement pas de la liberté d'expression, – lui qui n'a cessé toute sa vie de chercher à faire taire ses contradicteurs –, mais plutôt de cette malheureuse tradition des intellectuels français adorateurs des modèles étrangers et calomniateurs de leur propre peuple.
Stéphane BLANCHONNET
Article paru sur a-rebours.fr et dans L'AF2000
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