La multipolarité

La multipolarité est d'abord un fait. Elle existait dans le système wesphalien qui régissait les rapports entre les puissances, — toutes européennes à l'époque —, du XVIIème siècle au XIXème siècle, sur la base de la souveraineté des États et de l'équilibre des forces. Ce modèle, mis à mal par la Révolution française, le rêve impérial de Napoléon ou le principe des nationalités, sera définitivement enterré par les deux guerres mondiales, la création de la S.D.N. puis de l'O.N.U. et la mise en place, après 1945, d'un monde bipolaire, théâtre de l'affrontement des deux superpuissances : les États-Unis et l'Union soviétique. Ce monde bipolaire s'effondrera à son tour après la chute du mur de Berlin (1989) et la parenthèse unipolaire (qui donna l'illusion à certains d'une fin de l'Histoire), dans ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler, à la suite d'Huntington, le « choc des civilisations » : le retour en force de l'Islam, de la Russie, l'émergence de nouvelles puissances (la Chine surtout) dessinant les contours d'une nouvelle multipolarité.

Mais cette multipolarité est aussi un bienfait. La France est et restera sans doute encore longtemps une puissance (même à horizon de vingt ou trente ans, elle figurera toujours dans les dix premières nations sur le plan économique et militaire) mais elle ne retrouvera vraisemblablement plus jamais la première place qui fut la sienne entre 1660 et 1815. Pour être libre, elle doit donc ne pas se laisser vassaliser par une puissance supérieure et diversifier ses alliances, – ce qui ne signifie pas forcément les retourner ! –, consolider ses positions déjà acquises dans le monde (dans ses territoires d'outremer ou dans son ancien domaine colonial africain) et valoriser ses atouts (puissance nucléaire, 2ème zone économique exclusive du monde, 1ère langue à l'horizon 2050). Elle pourra bien plus facilement jouer sa partition propre dans un monde multipolaire qu'enfermée dans un bloc européen ou occidental !

Enfin, la multipolarité est conforme à notre histoire et à notre génie. Autrement dit, la France n'a pas vocation à l'hégémonie mais à l'indépendance et à la souveraineté nationale. Clovis déjà fit le choix du terme de roi plutôt que de celui d'empereur. Les Capétiens plus tard se proclameront « empereurs en leur royaume » et chercheront à établir une souveraineté absolue (indépendante de l'empereur germanique comme du pape, au temporel du moins) mais dans un espace limité (grosso modo celui de l'ancienne Gaule) plutôt qu'à reconstituer l'empire romain. L'échec de Napoléon est aussi révélateur, à sa façon, de la vocation de la France à participer aux équilibres plutôt qu'à les bouleverser brutalement dans un esprit démesuré de conquêtes. Dans la période contemporaine, la politique du général De Gaule à l'égard des blocs et des non-alignés comme les plus récents succès de notre diplomatie (dans la deuxième Guerre du Golfe par exemple) montrent que la France n'est grande et écoutée qu'en étant fidèle à cette tradition.

Stéphane BLANCHONNET

Article paru sur a-rebours.fr et dans L'AF2000


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