L'identité nationale

    L'actuel « grand débat sur l'identité nationale » voulu par Nicolas Sarkozy est pour nous l'occasion de reprendre et d'approfondir la conception maurrassienne de la nation et de la nationalité. Ce thème est au centre de notre pensée nationaliste et l'originalité de nos réponses en la matière est de nature à attirer à nous un certain nombre de patriotes qui s'égarent dans des voies périlleuses et dans des définitions fausses. Nous commencerons par passer au crible de la critique les deux plus courantes de ces mauvaises formules de la nation, que sont la nation-race et la nation-contrat, pour examiner ensuite la valeur de la formule maurrassienne.

 

Deux fausses pistes


    Le point de vue racialiste est bien sûr le fait d'une certaine extrême droite qui, de Gobineau aux nationalistes révolutionnaires d'aujourd'hui, finit par rejeter la France pour lui préférer les identités régionales, une prétendue nation européenne, l'Occident ou encore la race blanche. Mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit aussi d'une conception républicaine qui prend corps à travers le mythe de « nos ancêtres les Gaulois », cher aux manuels scolaires de la Troisième République et à travers celui des « frontières naturelles », cher à Danton. Dans le cas de ces deux mythes républicains, il n'est plus question de renier la France mais de lui conférer une sorte d'identité immuable qui ne devrait plus rien ni à l'action unificatrice des rois capétiens, ni à l'action civilisatrice du christianisme. C'est un déni d'histoire en quelque sorte.
    Il n'est pas difficile de montrer que ces théories naturalistes sont absurdes : d'abord, il n'existe nulle part de race parfaitement homogène, ensuite la Gaule n'est pas la France (n'oublions pas que pour les Romains, l'Italie du nord formait la Gaule cisalpine !) et l'apport gaulois sur le terrain de la langue et de la civilisation est mineur, enfin les frontières sont des conséquences de l'histoire et non des causes (si le Rhin est une frontière, le Rhône ou la Loire auraient très bien pu en être d'autres !). Comme l'écrit Maurras dans Anthinéa : « aucune origine n'est belle, la beauté est au terme des choses ». Autrement dit, il ne faut pas figer la formule de la nation dans ses prémisses géographiques ou ethniques mais considérer comment ces données initiales ont servi de supports aux événements historiques ultérieurs qui aboutirent à la France.
    Le point de vue contractualiste se présente à nous comme l'extrême opposé du point de vue racialiste. Ses partisans se recrutent surtout parmi les républicains les moins attachés à la France charnelle, celle de l'histoire et de la géographie, et parmi les droits-de-l'hommistes en tous genres. Pour Rousseau, qui en est le père, il faut à tout prix fonder la cité sur l'adhésion volontaire de ses membres. Tout autre forme de société, dont l'existence, la forme et les institutions seraient héritées de l'histoire, est condamnée comme irrationnelle et, surtout, comme pourvoyeuse d'injustice. Ce contractualisme semble avoir la préférence de MM. Sarkozy et Besson si l'on se fie aux documents qui figurent sur le site du « grand débat » (l'identité nationale serait tout entière exprimée par la Déclaration des droits de l'homme, par les textes constitutionnels de la Vème République et par un choix d'œuvres littéraires). Elle présente sans doute à leurs yeux l'avantage de permettre une assimilation rapide des masses d'immigrés qui deviendraient Français simplement en manifestant leur adhésion à quelques principes moraux et juridiques issus de la philosophie des Lumières.
    Comme la théorie racialiste, le contractualisme ne résiste pas à la critique. Déjà Renan dans sa célèbre conférence « Qu'est-ce qu'une nation ? » percevait la difficulté de faire reposer l'édifice social sur la chose la plus fragile et la plus inconstante qui soit : la volonté individuelle. Déjà, il reconnaissait, plus ou moins entre les lignes, que si la conscience d'appartenir à une communauté nationale existait chez les Français c'était le fruit de l'histoire et notamment de l'histoire d'avant 1789 plus que du fameux « plébiscite permanent » dont les modalités d'organisation m'ont personnellement toujours laissé songeur... Outre son artificialité et sa fragilité, il faut considérer un autre défaut de la position contractualiste : ses potentialités totalitaires. Les disciples les plus conséquents de Rousseau au XXème s'appellent Lénine, Mussolini et Hitler, dans la mesure où ils ont bien compris que si l'on voulait faire passer le Contrat social du mythe à la réalité, il fallait entretenir une tension permanente dans la société et exiger des citoyens qu'ils abandonnassent, non plus seulement en théorie mais aussi en pratique, leur autonomie individuelle pour fusionner dans l'Etat.

Le juste milieu maurrassien


    A tous égards, la position maurrassienne apparaît dans ce débat comme le « juste milieu » aristotélicien, c'est-à-dire, selon une expression plus heureuse, comme le « milieu juste » entre ces deux extrêmes que sont le racialisme et le contractualisme. Maurras écrit dans Kiel et Tanger :  « Les organes de large unification, les créateurs de grandes nationalités, ce ne sont pas les personnes, leur troupeau immense de petites volontés autonomes. Celles-ci bornent leur champ à l'intérêt particulier de chacune d'elles et à celui, tout limitrophe, de la famille qui est le « prolongement » de soi. C'est tout ce que l'on peut demander au citoyen librement consulté. En histoire, tout le surcroît vient d'une race d'êtres bien différente, il vient de la petite poignée des chefs : fondateurs, directeurs, organisateurs. » Par là, il remet l'Histoire, – la grande exclue des deux autres conceptions –, dans le jeu. Il rétablit les droits des véritables auteurs de la nationalité française : les rois capétiens et les fortes personnalités qui les ont servis. Il affirme encore dans L'Action Française du 23 juillet 1916 : « il est vrai que la nationalité n'est pas un phénomène de race. Il ne s'ensuit pas qu'elle soit le résultat artificiel d'un acte de volonté contractante. Sans doute, et avec une certaine liberté, nous adhérons à notre race, à notre nationalité, à notre nation, mais on adhère comme on consent ». Ici, il renvoie dos à dos le racialisme et le contractualisme tout en précisant la place qu'il concède à la volonté individuelle, celle du consentement.

d'Aristote à Maurras


    L'aristotélisme de Maurras est d'ailleurs plus profond qu'on ne le dit habituellement. L'expression du présent débat dans les termes de la métaphysique d'Aristote devrait permettre de le montrer aisément. On sait que pour le Stagirite, tous les êtres sont constitués de matière et de forme, c'est-à-dire, d'un élément informe et qui pourrait être potentiellement beaucoup de choses et d'un élément formel qui rattache l'être à son essence, qui lui confère une vie propre conformément à une nature particulière. Sous cet éclairage philosophique, on peut dire que la conception de la nation-race prétend se passer de forme. Elle ne prend en considération que la matière. Comme dans la philosophie de Parménide, elle nous dit que le changement est une illusion, qu'une chose est ce qu'elle est, qu'elle est pour toujours fixée dans son immutabilité. La conception de la nation-contrat, à l'inverse, prétend, elle, se passer de la matière. Au diable les Gaulois, les Romains et les Francs, au diable l'histoire de la formation de la France, le christianisme, etc. Pour être Français, il suffirait de le vouloir, d'en exprimer le désir et de se plier à quelques formalités administratives et symboliques. C'est le changement permanent. C'est même très exactement le changement sans sujet du changement ! Pour qu'une chose change, reçoive une nouvelle forme, encore faut-il qu'elle préexiste à ce changement ! La conception maurrassienne, pour sa part, prend en compte à la fois la matière et la forme. Elle considère que pour que le changement (ou l'évolution) soit possible, il faut qu'il existe un sujet, un support à ce changement, une matière donc. C'est pour cette raison que nous ne  méprisons pas « la terre et les morts » pour reprendre la formule de Barrès. Cela dit, notre conception admet également que cette matière ne peut exister sans la forme, sans l'idée de la France, sans cet élément dynamique né de l'Histoire et qui rend possible, par exemple, l'intégration (prudente et limitée !) de nouveaux peuples ou de nouveaux territoires.
    La raison pour laquelle MM. Sarkozy et Besson font aujourd'hui fausse route est la suivante : ils ont conscience d'une crise de la matière-France, liée principalement aux changements quantitatifs sans précédent que notre peuple a subis en quelques décennies (immigration massive, extra-européenne extrêmement difficile à intégrer) mais ils n'ont aucune conscience d'une crise plus profonde de la nation-forme, c'est-à-dire de l'idée de la France. Pis, ils participent à l'aggravation de ce problème en excluant de leur débat l'histoire, la géographie et la religion pour tout réduire à l'idéologie des Lumières et à la forme républicaine de gouvernement. Le principal obstacle aujourd'hui à toute réflexion sérieuse sur l'identité nationale... c'est la République !

Stéphane BLANCHONNET

 

Article correspondant à une conférence que j'ai prononcée à Paris en novembre 2009, texte d'abord publié sur le site a-rebours.fr puis repris dans L'Action Française 2000.


Vos commentaires