Je réforme, tu réformes... nous trinquons

   Dénoncer l'immobilisme de l'éducation nationale est un des exercices favoris des journalistes et des politiciens. Claude Allègre, ministre de 1997 à 2000, a su donner à ce lieu commun une illustration commode et séduisante avec l'image du Mammouth.
   Pourtant, vu de l'intérieur, ce prétendu immobilisme paraît bien illusoire et même contraire à la réalité. En effet, nous assistons plutôt à une frénésie de réformes. Pas une année sans que l'on ne change les programmes dans l'une ou l'autre des disciplines, pour le plus grand désarroi des parents d'élèves et des enseignants... et pour le plus grand profit des éditeurs de manuels scolaires ! Dans les dernières années, ont été également réformés la formation des enseignants, les épreuves des concours de recrutement, la désignation et le contenu des filières d'enseignement et des épreuves du baccalauréat général et technologique, l'organisation du lycée professionnel avec la disparition progressive du BEP... La liste n'est pas exhaustive !
   La vraie question serait plutôt de savoir dans quel sens, – si du moins il existe ! –, nous conduit cette agitation permanente. Il semblerait qu'elle réponde à une double logique. La première est budgétaire, la seconde plus idéologique. Si l'une est facile à comprendre, l'autre mérite quelques explications. Le pédagogisme, philosophie de l'éducation qui consiste à mettre « l'élève au centre du système éducatif », selon les termes de la loi d'orientation pour l'école de 1989, est la référence commune à tous les ministres et à toutes les réformes. Il s'agit de remettre en cause le modèle  éducatif traditionnel, qui plaçait au centre de l'école les savoirs et en particulier les savoirs humanistes (au sens que l'on donnait à ce terme au XVIème siècle), pour lui substituer un modèle à la fois plus utilitaire et moins « élitiste ».
   Les conséquences de cette « révolution copernicienne » du système éducatif sont souvent des échecs : on apprend (mal) l'anglais dès l'école primaire mais le français n'est toujours pas maîtrisé à l'entrée en Seconde, on veut à tout prix coller au marché du travail mais celui-ci évoluant sans cesse et les programmes nécessitant des délais de mises en œuvre, les réformettes utilitaristes sont caduques avant même d'être appliquées, plutôt que de pratiquer la sélection, on s'accommode de la baisse du niveau que l'on maquille hypocritement en progrès en insistant sur l'acquisition des « savoir-faire » plutôt que des savoirs... Les enquêtes nationales et internationales (PISA par exemple) servant à justifier le tout en montrant que le système scolaire français est mal classé, loin derrière... la Chine et la Corée !
   Parfois, les deux logiques, budgétaires et idéologiques, se conjuguent au détriment des élèves et des  savoirs. Un exemple concret le montrera mieux qu'un long discours. Il existait jadis en Seconde, une « heure d'aide individualisée » en français et en mathématiques. Ce dispositif permettait aux professeurs de ces deux disciplines fondamentales de convoquer seulement quelques élèves (5 ou 6 par exemple) pour les aider à combler leurs lacunes dans la matière. J'ai personnellement pu constater en la pratiquant avec mes classes que cette  « aide individualisée » atteignait bien ses objectifs. Elle permettait de surcroît de concilier les points de vue : l'élève et les savoirs s'y trouvaient tous deux placés au centre !
   Malheureusement l'aide individualisée coûtait cher (un professeur pour 5 élèves!) et était trop « cloisonnée » (entendez « limitée aux savoirs propres à une matière ») pour les partisans du pédagogisme. On a donc remplacé ce dispositif vertueux par ce que l'on appelle les « heures d'accompagnement » dans la nouvelle réforme du lycée. Cette fois, plus question d'enseigner le français ou les mathématiques à un petit nombre d'élèves en difficulté mais des « savoir-faire » transversaux ou trans-disciplinaires (concepts typiquement pédagogistes) à une classe entière. Un désastre...

Stéphane BLANCHONNET

Article d'abord paru sur a-rebours.fr puis repris dans L'Action Française 2000


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