Impostures féministes

    La France s'apprête à célébrer le 8 mars prochain la Journée de la femme. Cet événement, officialisé par l'O.N.U. en 1977 et par la France mitterrandienne en 1982, doit sa création à l'Internationale socialiste des femmes, version féminine de la Deuxième internationale (fondée en 1889 par Friedrich Engels), qui en lança l'idée en 1910. Les féministes radicaux, les tenants du Gender-feminism, qui ont en horreur la différence des sexes et qui alimentent sans cesse la guerre des sexes sur le mode de la « lutte des classes » peuvent à bon droit se réjouir de voir ainsi institutionnalisée par des Etats et des gouvernements, même conservateurs ou "de droite", une manifestation que l'on doit à une Internationale fondée par l'auteur de L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat (1884) et célèbre compagnon de lutte de Karl Marx. Bien entendu, tous les féminismes, réformistes, universalistes ou différentialistes, ne se situent pas sur la même ligne que ces ultras du féminisme du Genre. Cela dit, ce dernier mouvement, proche à la fois du marxisme et des mouvements lesbiens, est très puissant aux Etats-Unis et son influence ne cesse de gagner du terrain en Europe et dans le monde. Dans l'intéressant Lexique des termes ambigus et controversés sur la vie, la famille et les questions éthiques, publié en 2005 par le Conseil pontifical pour la famille, Mgr Oscar Alzamora Revoredo, ancien archevêque de Lima au Pérou, a notamment démontré l'influence de ce mouvement sur la conférence mondiale sur les femmes, organisée par l'O.N.U. à Pékin en 1995. Les deux axes principaux du féminisme du Genre sont la critique du patriarcat présenté comme une entreprise diabolique d'exploitation de la "classe" féminine et la négation obstinée de toutes les différences de nature entre les hommes et les femmes. Or, nous allons voir que sur ces deux axes, la théorie féministe radicale est inconsistante et, contrairement à ses prétentions, en complète opposition avec les sciences sociales comme avec les sciences naturelles.

Le fantasme du matriarcat

    On sait aujourd'hui que le matriarcat n'a jamais existé que dans les mythes et la littérature. Les célèbres théories de Jacob Bachofen, qui inspirèrent des auteurs aussi différents que Friedrich Engels et Julius Evola, reposent en effet sur des extrapolations abusives à partir de sources éparses et essentiellement légendaires ainsi que sur  une confusion regrettable entre matriarcat d'une part, filiation matrilinéaire et régime uxorilocal (cas où le mari vient habiter chez sa femme) d'autre part. L'ethnologie et la sociologie actuelles l'affirment sans ambiguïté, au grand dam des prétendues "études" consacrées par des féministes à ce sujet : si certaines sociétés ont accordé plus de place que d'autres à la femme, notamment au sein de la famille, aucune société historique n'a été dominée par les femmes. Un article de Nicolas Journet, « Le fantasme du matriarcat », paru en 2005 dans la revue Sciences Humaines (Hors-série numéro 4) résume assez bien l'état présent de la recherche scientifique sur cette question. Or si le matriarcat est un fantasme, le patriarcat, entendu comme la domination brutale et intéressée des femmes par les hommes, comme un véritable « système d'exploitation » au sens marxiste, disparaît lui aussi. A l'illusion, entretenue selon des méthodes gramscistes parfaitement maîtrisées par les féministes radicaux, d'une division sexiste du travail, imposée à un moment précis de l'histoire par une sorte de complot universel des mâles (1), une vision plus réaliste des choses opposera l'existence d'une division sexuelle des tâches que l'on retrouve dans toutes les sociétés humaines et dont l'origine est à chercher dans la biologie et la physiologie.

Des différences naturelles incontestables

    A partir de la puberté, la différenciation sexuelle, déjà présente chez les enfants (2), connaît un pic et voit les garçons acquérir progressivement, sous l'effet anabolisant des androgènes (les hormones mâles), une stature, un poids, une robustesse du squelette et, surtout, une masse musculaire nettement supérieurs à ceux des filles. En moyenne, les hommes adultes sont plus grands (de 10 cm), plus lourds (d'une dizaine de kilos) et plus forts que leurs homologues féminins. La force maximale de la femme moyenne calculée absolument correspond à 60% de la force de l'homme moyen, avec des différences plus sensibles dans les muscles de la partie supérieure du corps que dans ceux de la partie inférieure. Même calculée de manière relative, après correction des différences de taille et de poids, la force de la femme reste inférieure (voir sur ce point, par exemple, le Traité de physiologie de l'exercice et du sport de Paolo Cerretelli, paru chez Masson en 2002 ou le Précis de physiologie de l'exercice musculaire de Per-Olof Astrand et Kaare Rodahl paru en 1994 chez le même éditeur). Les femmes sont en effet programmées au plan hormonal, en vue des grossesses, pour développer plus de masse grasse et moins de masse sèche que les hommes. Ceci explique que pour chaque unité de poids corporel, elles possèdent moins de masse musculaire que les hommes. Si l'on ajoute à cette différence, la vulnérabilité de la femme pendant ses grossesses, c'est-à-dire pendant une part non négligeable de sa vie dans la plupart des sociétés traditionnelles, les nécessités de l'allaitement (dont la médecine la plus moderne nous rappelle les bienfaits pour l'enfant mais aussi pour la mère, en termes d'espérance de vie et de prévention des cancers), le lien étroit qui unit le nouveau-né à sa mère (que la physiologie a étudié sur le plan hormonal et la psychologie sur le plan affectif, n'en déplaise à Simone de Beauvoir), il n'est pas besoin d'être grand clerc ni de recourir à une quelconque conspiration des mâles pour comprendre pourquoi la chasse et la guerre (donc la politique) ont échu aux hommes et la sphère domestique et affective aux femmes dans toutes les cultures humaines sans exception.

Le corset invisible

    Cette division sexuelles des tâches est synonyme, pour les féministes en général et pour les féministes radicaux en particulier, qui dévaluent systématiquement la maternité et les tâches traditionnellement féminines, d'exploitation de la femme par l'homme. On pourrait d'abord leur objecter que la part dévolue aux hommes n'était pas toujours très confortable (mourir à la guerre ou au fond de la mine), ensuite que les civilisations traditionnelles accordaient un grand prix et parfois un grand prestige à la part dévolue aux femmes (Evola rapporte dans Révolte contre le monde moderne que, chez les Aztèques-nahua, les femmes mortes en couches « participaient au privilège de l'immortalité céleste [...] car on estimait qu'il s'agissait d'un sacrifice semblable à celui de l'homme qui meurt sur le champ de bataille »). A l'heure actuelle, quand les médias, sous l'influence du sexuellement correct, ne présentent comme modèles symboliques aux femmes que des super women, commissaires de police ou championnes d'arts martiaux, il n'est pas étonnant de voir que le statut de la femme au foyer n'est plébiscité que par 5% des jeunes filles de 15 à 18 ans, d'après un sondage commandé en février 2009 par Valérie Létard, secrétaire d’Etat chargé de la Solidarité, qui bien entendu s'en félicite ! Cette situation révèle tout le paradoxe du féminisme qui pousse les femmes à s'identifier aux hommes et à n'imaginer comme forme d'épanouissement que des activités pour lesquelles elles souffrent d'un indéniable handicap naturel (que l'existence d'épreuves ou de barèmes différenciés aux tests d'aptitude physique dans la plupart des professions traditionnellement masculines n'arrive pas à masquer) en même temps qu'il entretient savamment le mépris des tâches féminines que les femmes réelles continuent pourtant à exercer le plus souvent. Il en résulte une pression si insupportable pour les femmes que les essayistes Eliette Abécassis et Caroline Bongrand n'hésitent pas à parler à ce sujet dans le livre qu'elles ont co-écrit d'un Corset invisible. La même Eliette Abécassis, romancière et philosophe, affirme dans un entretien accordé en mai 2007 au site evene.fr : « Le plus important est de prendre en considération les différences naturelles entre l’homme et la femme. Un certain féminisme a voulu calquer la libération de la femme sur le modèle masculin, ce qui n’est pas très réaliste. Cette dissymétrie est aujourd’hui une évidence. Il faut la prendre en compte quand on veut libérer la femme. Il faut revenir à cette différence fondamentale. » Elle ajoute plus loin, dans le même entretien, au sujet de l'avortement, que le discours féministe n'envisage que sous l'angle du droit de la femme à disposer de son corps et jamais à travers ses conséquences : « il ne s’agit pas de revenir au temps où l’avortement n’était pas légal et où les femmes mouraient dans d’atroces souffrances […] Mais l’avortement est un traumatisme pour la femme alors que pour l’homme il s’agit davantage d’une délivrance face à un enfant qu’il ne voulait pas avoir. » Dans la mesure où cet auteur se réclame encore du féminisme, il faut sans doute voir dans ce type de déclarations un signe de la crise que connaît cette idéologie.
    Il nous reste à souhaiter que les thèses du féminisme radical suscitent en France de plus en plus de réactions comme celles d'Eliette Abécassis ou encore de Claude Habib dans son excellent livre Galanterie française, paru chez Gallimard en 2006 et dont nous avons déjà rendu compte dans nos colonnes. La France se trouve en effet, à l'égard du Gender-feminism, dans une position périlleuse : ce mouvement commence avec beaucoup de retard sur les autres pays occidentaux à y faire sentir son influence mais il le fait avec d'autant plus de facilité qu'il n'a pas encore rencontré chez nous d'opposition déterminée comme celle que nous nous efforçons d'initier ici.

Stéphane BLANCHONNET

Article paru dans L'Action Française 2000 numéro 2766, du 5 au 18 mars 2009.

 

(1) Thèse par ailleurs contradictoire avec celle de l'égalité naturelle entre les sexes défendue par ces mêmes féministes puisqu'elle suppose une supériorité des hommes capables d'imposer partout le triomphe de ce prétendu complot.

(2) De nombreuses études scientifiques récentes montrent que les différences, de comportement notamment, sont observables dès les premières années, ruinant l'explication culturaliste de la différence des sexes (voir sur ce point Claire-Marie Clozel, Pourquoi les petits garçons ne sont pas des petites filles, éditions Triptyque, 2007).


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