Petite histoire du féminisme


    Nous avons montré dans nos deux précédents articles que l’idée de parité, dont la proposition de loi Copé récemment adoptée par l’assemblée nationale est la dernière manifestation en date, constituait un énième avatar de l’idéologie égalitaire moderne. Il nous reste à parcourir le chemin situé entre l’avènement de cette idéologie et son application postmoderne aux relations entre les hommes et les femmes. C’est donc la question du féminisme, de son histoire, de ses tendances et de ses dérives, qui nous occupera cette fois-ci.
    Il faut d’abord considérer que le féminisme se présente historiquement comme un phénomène relativement discontinu. Il n’y a pas un moment féministe mais plusieurs vagues successives. Le féminisme du XIXème siècle, celui des suffragettes anglo-saxonnes par exemple, réclame d’abord des droits politiques. Le droit de vote sera accordé aux femmes dès 1919 en Allemagne et aux Etats-Unis, seulement en 1944 en France. Dans la deuxième moitié du XXème siècle, c’est la maîtrise de la fécondité qui mobilise beaucoup les féministes (autorisation de la contraception, dépénalisation puis prise en charge de l’avortement). Parallèlement, le féminisme devient plus doctrinaire (c’est l’époque de la parution d’ouvrages comme Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir ou La Politique du mâle de Kate Millet), plus militant (le M.L.F.) et plus radical (il remet en cause la structure de la famille et celle de la société, globalement stigmatisées sous le vocable polémique de “patriarcat”). Enfin, dans ses développement les plus contemporains, le féminisme ayant atteint la plupart de ses objectifs (l’autorité maritale, l’autorité paternelle et jusqu’à la notion de patronyme ont été progressivement éliminées du droit), renaît sous diverses formes dont les deux plus reconnaissables sont la revendication de parité et les théories du gender.

féminisme universaliste contre féminisme différentialiste


    Il convient aussi de distinguer les deux grandes tendances du féminisme : le féminisme universaliste (celui de Simone de Beauvoir ou d’Elisabeth Badinter) et le féminisme différentialiste (celui de Kate Millet ou de Luce Irigaray). La formule de l’un pourrait être « la femme est un homme comme les autres » et la formule de l’autre, « la femme est l’avenir de l’homme ». Le premier nie la différence des sexes ou l’attribue à la seule culture, le second valorise cette différence et la rapporte, notamment, à la nature. Le féminisme universaliste insiste surtout sur l’égalité des droits et répugne à toute forme de communautarisme des femmes (d’où son hostilité de principe à la parité). Le féminisme différentialiste pense que si le monde va si mal c’est parce qu’il est fondé sur des valeurs masculines (la violence, la compétition, le désir de dominer) et qu’il se porterait beaucoup mieux s’il était gouverné par des femmes (la parité est le type même de mesure qui se justifie d’un point de vue différentialiste). Quant au gender feminism, le dernier en date des courants féministes, il cherche à imposer l’idée que la différence sexuelle est une construction purement culturelle (à déconstruire donc !) et voit du “sexisme” dans la moindre allusion à l’existence de cette différence. Derrière un pédantisme de façade, qui s’exprime dans son goût pour un jargon pseudo-scientifique, ce féminisme du “genre” partage avec un certain antiracisme un goût très prononcé pour le flicage de la pensée. Sur le fond, il apparaît très proche de la position universaliste et s’en distingue surtout par sa radicalité. La tendance relativement récente en français à substituer le mot “genre” au mot “sexe”, dans le but plus ou moins conscient, de dissocier le sexe biologique (pardon pour le pléonasme !) d’un prétendu « sexe social », est un indice de l’influence grandissante de ce courant dans notre pays.

Le mythe du matriarcat


    Comme nous l'avons déjà écrit dans ces colonnes, le féminisme, toutes tendances confondues (ou presque), repose d'abord sur un mythe : celui du matriarcat originel. Selon cette théorie, l'humanité aurait d'abord vécu dans un âge d'amour et de paix associé à une prééminence de la femme dans la société. Puis le patriarcat serait apparu et les hommes, confisquant à leur seul profit le pouvoir et ses symboles, auraient instauré un âge de fer et de larmes dont nos sociétés seraient les héritières. Cette théorie a été inventée  au XIXème siècle par le philologue suisse Johann Jakob Bachofen puis revisitée et révisée dans le sens péjoratif que nous venons d'exposer par les féministes des années 1970 (Bachofen pour sa part n'interprétait pas le passage au patriarcat comme une calamité). Comme l'écrit Jean-François Dortier dans le dernier numéro (N° 214 – avril 2010) de la revue Sciences Humaines« Plus aucun archéologue n'accorde aujourd'hui crédit à cette théorie ». Dans un numéro de 2005 de la même revue de référence (Hors-série spécial n°4), Nicolas Journet démontrait déjà clairement qu'aucune société historique n'avait été dominée par les femmes et que les tenants du matriarcat originel avaient confondu, d'une part, les mythes et légendes avec l'histoire et, d'autre part, l'existence de sociétés matrilinéaires (régime de filiation) avec le matriarcat (forme d'organisation du pouvoir jamais observée nulle part).

A l'origine : la nature


    Allons plus loin : si le matriarcat n'a jamais existé, alors le patriarcat, comme système imposé à un moment donné de l'histoire, n'a jamais existé non plus. Du coup, la répartition des tâches entre les hommes et les femmes à l'origine des civilisations retrouve sa naturalité en même temps que son universalité. Aux hommes la chasse et la guerre, parce qu'ils sont plus forts et plus rapides, aux femmes la cueillette et le soin des enfants. Rappelons que les hommes ont des jambes plus longues relativement à la taille du corps que leurs homologues féminins, un cœur et des poumons plus gros, une plus grande capacité à transporter l'oxygène dans le sang, une plus grande masse musculaire (absolue comme relative) et une plus grande capacité à éliminer les produits chimiques issus de l'exercice. Rappelons aussi (quitte à enfoncer des portes ouvertes !) que c'est la femme qui porte l'enfant pendant neuf mois, qu'elle seule est en mesure de l'allaiter (les mamelles des hommes ne sont pas fonctionnelles !), que pendant ces périodes de grossesses et d'allaitement, très fréquente dans les sociétés sans moyens contraceptifs de masse la femme est fragilisée et a besoin d'être protégée...  Qu'est-il besoin à la vue de ces données élémentaires d'inventer une quelconque malveillance masculine à l'origine de la division sexuelle des tâches ? D'ailleurs, contrairement à ce que le discours féministe voudrait faire croire, les tâches dévolues à l'homme ne sont pas forcément les plus agréables (on meurt jeune à la guerre ou au fond de la mine !) et celles échues aux femmes ne sont pas sans noblesse (le maternage n'est pas universellement dévaluée comme activité... de ce point de vue c'est plutôt l'Occident moderne qui fait figure d'exception ou d'anomalie pour parler comme Guénon !).
    La dernière imposture féministe concerne le rôle que ce mouvement s'attribue dans l'évolution récente de la place des femmes. Le machinisme, en rendant la force physique moins nécessaire dans de nombreuses tâches, le développement du secteur tertiaire, qui va dans le même sens, les progrès de l'électro-ménager, qui libèrent du temps sur celui consacré aux soins du ménage, l'accès massif aux moyens contraceptifs, qui rend les grossesses bien moins nombreuses, le consumérisme, qui pousse les femmes à travailler en dehors du foyer pour permettre au couple de gagner plus et de consommer toujours davantage, l'état providence, enfin, qui prend en charge la femme et les enfants quand les nouveaux hommes, déresponsabilisés par la mentalité hédoniste moderne, renoncent à jouer leur rôle... Toutes ces causes expliquent bien mieux les dernières évolutions que les grands discours féministes.

Stéphane BLANCHONNET

Article d'abord paru sur le site a-rebours.fr puis repris dans L'Action Française 2000.


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