Galanterie française

    Le livre de Claude Habib, qui est à l’origine de cet article mais aussi de l’ensemble de notre dossier, est d’abord un formidable éloge de la France à travers ses mœurs. Il est aussi un éloge de la monarchie, de l’aristocratie et du peuple français tout entier à travers l’histoire d’un héritage qui vient d’en haut mais a su conquérir peu à peu toutes les couches de la société. Aujourd’hui, en ces temps de repentance généralisée, cet héritage apparaît d’ailleurs plus vivant, remarque l’auteur, dans la rue que dans le discours des élites. « En quatre siècles, la galanterie a diffusé dans le corps social. Elle ne vit plus seulement dans les lambris […] elle ressurgit toujours plus bas : elle est sur le pavé ou même dans le métro […] La rue est le vivier de la galanterie dans un monde qui a cessé d’y croire » (p. 19). Elle caractérise la manière française d’aborder les femmes « comme une voie médiane » (p. 36), un juste milieu au sens d’Aristote, entre la “drague” méditerranéenne ou latine qui envisage et dévisage sans retenue les formes féminines et l’apparente indifférence nordique ou anglo-saxonne qui « empêche les femmes de jouir de l’effet qu’elles font » (p. 36) et tient l’érotisme à l’écart de l’espace public en vertu d’un puritanisme qui conduit au refoulement pornographique. Erotisme diffus et bienséant, la galanterie française est un plaisir de l’instant, une « luciole » adorable qui prête un peu de sa grâce à notre grisaille urbaine et que la sécheresse féministe n’a pas terrassée.

Un consensus national


    Un autre intérêt du livre de Claude Habib est de manifester un certain consensus national. La galanterie appartient en effet à ces éléments de notre culture qui, comme la gastronomie ou l’amour des belles lettres, sont partagés par toutes les familles spirituelles de la France, pour reprendre l’expression de Barrès. En témoignent les articles élogieux qui ont accueilli la parution du livre fin 2006, sous la plume de Robert Maggiori dans Libération, de Jacques de Saint-Victor dans Le Figaro littéraire, d’Alain Corbin dans L’Express ou de Mona Ozouf dans Le Nouvel Observateur. Cette dernière relève d’ailleurs dans son article une autre forme de consensus qui unit les siècles, les classes et les registres : « La princesse de Clèves s’y entretient avec Agnès Jaoui, l’ouvrier parisien plaisante avec le chevalier de Méré, on va et vient entre la rue et la ruelle… ».
    Ce livre est aussi profondément actuel car loin d’être un manuel de savoir-vivre, il se propose de répondre à la question posée aux rapports entre les hommes et les femmes par les excès du féminisme, la perte des repères du genre, l’individualisme, la dévaluation de la virilité et son corollaire tragique et inexcusable, la recrudescence de la violence masculine. Et cette réponse se situe résolument sur le terrain des mœurs et des mœurs nationales, esquissant au passage une critique de la « mauvaise conscience française ».

Trois livres en un

    En réalité, Claude Habib n’a pas écrit un livre mais trois : un livre d’histoire, un livre de critique littéraire et un essai. Aucun de ces ouvrages n’étant inférieur aux autres, on peut tenir l’ensemble pour l’une des plus belles réussites de l’intelligence française contemporaine.
    Le premier ouvrage nous propose une promenade érudite dans le XVIIe et le XVIIIe siècles, au contact des auteurs, de la Cour et des salons mais aussi du peuple avec le Journal de Jacques-Louis Ménétra, compagnon vitrier au siècle des Lumières. Cette monographie démontre comment la galanterie française est née d’un consensus entre le souhait des femmes d’être aimées, respectées, protégées et la générosité virile qui a accepté de jouer le jeu de la mixité (alors une idée neuve en Europe), de la prise en compte du désir féminin et de la déférence envers la femme. Cet événement, qui explique que l’on se moque sur la scène française des Arnolphe ou des Bartholo, représentants dans la comédie des maris ridicules qui veulent maintenir leurs femmes dans la claustration, fut à l’origine de réels gains de liberté pour les femmes. Mais ils furent obtenus au nom de l’amour et du plaisir réciproque plus qu’en vertu d’un égalitarisme abstrait et destructeur des complémentarités. A l’inverse de la “parité”, dernière manifestation en date de la passion effrénée de l’égalité et de la haine des hiérarchies dans la société démocratique, l’hommage galant « sert à faire valoir le plaisir de la réunion, et rendre sensible, à travers mille attentions, la différence des sexes […] le plaisir, non la justice, est le motif d’un tel rapprochement. » (p. 244)
    Le second ouvrage contient des pages magnifiques sur le classicisme, véritable terreau de la galanterie, et une critique très fine de Rousseau et du romantisme. La galanterie, érotique classique en même temps que continent littéraire, s’y présente comme une dame plus frivole et moins ambitieuse que son aïeule la splendide mais un peu hautaine courtoisie médiévale et néo-platonicienne, qui fait de la Femme, qu’elle se prénomme Laure ou Béatrice, la médiatrice entre le Ciel et la terre ; plus noble et plus généreuse que le libertinage, qui est un peu son fils indigne ; moins sérieuse et moins austère que l’amour romantique, qui la rejette au nom du culte de l’authenticité et, déjà, d’une forme d’individualisme amoureux. Dans cette partie du livre de Madame Habib, certaines digressions atteignent au sublime en ce qui touche à ce classicisme français qui nous est si cher. Pas moyen de résister au plaisir de citer celle qui décrit l’hellénisme des lettres françaises du Grand Siècle : « Le mont Hymette est derrière le rucher, le mont Parnasse s’élève près de Paris. La légende gréco-latine se superpose aux ciels de France, comme la rêverie d’un collégien se perd à travers la fenêtre ouverte […] La Grèce ne fut jamais pour la France ce qu’elle fut pour l’Allemagne : un ailleurs dont on rêve en dépit du pays natal. La Grèce est venue nous voir et elle s’est installée deux siècles […] A part une touche de pédantisme, çà et là, cette Grèce rustique et fraîche a enchanté tout le monde ; on s’y reconnaissait, on y était chez nous. » (p. 327-328).
    Le troisième ouvrage cherche à retrouver les voies du consensus galant pour aujourd’hui. Ne se reconnaissant plus dans un féminisme dévoyé dans la haine des hommes, véritables ennemis de classe au sens marxiste-léniniste, l’auteur, qui fut pourtant une militante, lance un appel aux hommes pour qu’ils redécouvrent derrière les aboiements des “chiennes de garde”, l’immense majorité des femmes, qui ne souhaitent pas devenir des “hommes comme les autres”. Face à la multiplication des viols, au développement des violences conjugales, à la perte du respect dû aux femmes par des hommes déboussolés, qui semblent répondre par la brutalité ou le mépris à l’agression symbolique du féminisme, elle veut croire à un sursaut de cette générosité virile qui est au fond l’essence de la galanterie. Retrouver les voies de l’apaisement, de l’amour et de la confiance entre les hommes et les femmes, c’est d’abord cesser de dénier aux hommes leur rôle de protecteurs naturels, rôle qu’ils souhaitent jouer spontanément à l’égard de leur compagne mais qui est constamment moqué, tourné en dérision, ringardisé (comme tout ce qui rappelle les différences, les inégalités, les traditions) dans le discours médiatique, la fiction télévisuelle ou la publicité. Il s’agirait de rendre aux hommes le statut symbolique que le féminisme s’est acharné à leur arracher pour réveiller en eux la générosité galante qui « permettait d’accorder le désir masculin au désir féminin, en métamorphosant la puissance en délicatesse » (p. 433). Il s’agirait également de proclamer que « la violence contre les femmes doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une honte pour celui qui y recourt, la preuve patente de sa lâcheté. » (p. 427) Programme de restauration des mœurs nationales et de pédagogie du savoir-vivre qui s’oppose aux propositions actuelles de la gauche française consistant à vouloir traiter le problème des “violences faites aux femmes” sous le seul angle juridique et répressif.

Stéphane BLANCHONNET

Article paru dans L'Action Française 2000 numéro 2722, du 5 au 18 avril 2007, sous le titre Défense et illustration des mœurs françaises, dans le dossier Galanterie française (téléchargeable dans son intégralité).

 

Toutes les références de pages renvoient à :
Claude Habib, Galanterie française, Gallimard, octobre 2006.


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